vendredi 20 janvier 2012

A propos d'une crise


Les subprimes, ces crédits immobiliers américains à taux variable, seraient à l’origine d’une crise qui n’aurait d’égal à elle-même que celle de 1929 et qui, d’ores et déjà, la dépasserait en gravité.

Le taux de ces crédits s’étant soudain élevé, les bénéficiaires se seraient avérés incapables de les rembourser et l’onde néfaste se serait répercutée sur l’ensemble de l’économie. 

Tous les experts se sont relayés au chevet du malade : socialistes, capitalistes, écologistes et autres… Leur diagnostique est à peu près identique : contrôler le capitalisme, le réguler.

L’élection d’Obama, les initiatives de Nicolas Sarkozy ont retenu toute l’attention et contribué à alimenter la fièvre médiatique Le système n’est pas réellement remis en cause, sauf par une toute petite minorité.
 
Le langage tenu à ce propos est uniforme. Il est strictement économique.
 
Pourtant, si l’on y regarde de plus près, on voit bien que le malaise est plus profond. La récession qui frappe la totalité des pays occidentaux en même temps que les autres nations par répercussion, trahit un essoufflement, une saturation des valeurs du système, voire une authentique crise de civilisation.
 
Je me souviens d’un week-end passé à Boston aux Etats-Unis. Rentrant le soir à New York, par l’autoroute, j’ai été impressionné par la puissance de la production américaine, et j’ai en même temps pris conscience de son drame.
 
Devant ces millions de voitures qui retournaient chez elles, on éprouvait à la fois un sentiment de force extrême, mais aussi de très grande fragilité. Cette société était à la merci de la production pétrolière, en particulier celle du Moyen Orient. La moindre crise politique pouvait la faire chavirer.
 
Mais au-delà, une sensation de gavage, de confort matériel excessif recouvrant sans aucun doute un manque spirituel profond. Le gage en était donné par ces personnages adipeux qui foisonnent aux Etats-Unis, se répandent en Europe et dont l’aspect extérieur révèle la préoccupation avant tout utilitaire et immédiate.
 
Pour comprendre les origines d’une telle surconsommation, il faut revenir sur ce qui fonde les Etats Unis d’Amérique, sur l’idéologie religieuse qui en constitue le socle. Le protestantisme cher à Calvin a toujours prôné le salut par le travail et l’enrichissement, pour répondre au mal inéluctable et à la prédestination, inhérents selon lui à l'humaine condition. Chaque citoyen américain doit produire pour la plus grande gloire de Dieu et sa réussite matérielle constitue le signe d’une obéissance au plan divin.
 
Aujourd’hui, la production se suffit à elle-même. Elle est une chose en soi sans référence au spirituel. Les Etats-Unis sont devenus un vaste marché. C’est cette culture, avant tout pragmatique, que l’Amérique souhaite communiquer au monde.
 
Pour ce faire, elle tente par tous les moyens de rompre la singularité, le noyau dur qui est au centre des autres cultures afin d’instaurer une société uniforme, composée en tous points du globe par des individus en jean, portant tous le même sac à dos, le même walkman, le même téléphone portable, les mêmes instruments de « progrès », lesquels ressemblent à s’y méprendre, dans le souci d’identification qu’ils sous-entendent, aux symboles des sociétés totalitaires.
 
Le totalitarisme a pris une nouvelle forme, celle d’une globalisation, aux mains des sociétés multinationales dont l’objectif est la destruction des cultures particulières au profit de misérables gadgets qui tendent à asservir l’homme, à le réduire. Non régulée par une instance internationale, elle conduit directement au règne de l’anarchie et à la domination des mafias.
 
Qu’est ce qu’un univers où, de Paris à New York, de Rio à Pékin, l’on retrouve les mêmes spectacles, les mêmes objets de désir ? Contrairement à ce que de nombreux beaux esprits ont imaginé, cette uniformisation entraîne un abaissement du niveau général de l’humain.
 
Ce qui crée le monde, c’est la singularité, la différence. L’image qui s’impose aujourd’hui comme un des facteurs du progrès tue le désir. Voir à répétition à la télévision, Venise, la vallée des Rois éradique le souhait de les rejoindre dans le réel. Le mystère se dissout. Les voyages en groupe produisent le même effet : l’on se retrouve avec des guides internationaux projetant lamentablement dans l’air leurs ridicules parapluies et profanant la beauté des sites sacrés. Le virtuel éloigne en fait de la réalité, sépare l’homme de lui-même et de l’autre et l’introduit dans un monde fantasmatique.
 
C’est le simulacre désormais qui mène le monde. Le pouvoir n’est plus entre les mains de l’homme politique mais de l'agent en communication et du technocrate qui ont mis la télévision et le journaliste à leur service.
 
La masse ne supporte plus aucune hiérarchie ni valeurs. Elle tient à ses drogues, celles qui lui sont dispensées chaque jour par la désinformation universelle. Elle devient toute puissante, et c’est vers elle que se concentrent les efforts des multinationales pour écouler leurs produits aseptisés, sous couvert de démocratie.
 
L’autorité n’existe plus. L’enfant devient le maître de son père, à moins qu’il ne s’enferme par réaction dans la schizophrénie, autre manière d’éloigner le réel. L’ouvrier s’estime l’égal du patron et le séquestre s’il le faut, le prêtre celui de ses ouailles.
 
Les signes du quotidien les plus viles rejoignent le grand art dans les jardins des Palais Royaux. Tout cela sous le prétexte fallacieux de persuader l’homme qu’il peut désormais se gouverner seul, sans loi, sans patrie, sans religion, sans art et sans civilisation.
 
Le déplacement lui-même, apparemment facilité par l’aviation ne rapproche qu’en apparence. Pour découvrir l’autre, il fallait autrefois un vrai désir, une acceptation de risque, une volonté et une tension exceptionnelles. Ces sont ces composantes qui ont poussé des hommes comme Colomb ou Marco Polo sur le mers, et ont engendré les grandes découvertes.

Ce n’est plus le cas aujourd’hui. N’importe qui peut s’envoler pour Pékin et y passer son week-end. C’est oublier que pour voir le monde, il faut développer en soi des aptitudes. Il faut une préparation, une culture, une volonté. Ce n’est qu’à cette condition que le monde se révèlera à vous.

Il en va de même pour la jeunesse qui se jette dans l’amour comme le fleuve à la mer, sans préparation. Jadis, il y avait une promesse, une attente et c’est elle qui était le gage de la future rencontre.
 
Jadis, il y avait un rêve. Nous avons cassé toutes les bornes, les limites, les barrières élevées par le Sacré, et nous nous retrouvons nus et vides devant la création.

Aujourd’hui il y a le préservatif en vente à l’encan.

Ce qui a fait le principe même de toute civilisation, à savoir son évolution pyramidale qui va du matériel au spirituel, n’est plus respecté. Le matériel est érigé comme valeur suprême. Il supplante la quête de l’unité et l’ordre des choses s’en trouve renversé, la base se situant en lieu et place du sommet.

Il ne s’agit pas pourtant de tenter d’abolir les apports de la raison ni de dénigrer les bienfaits du progrès technique. La conquête de l’espace, par exemple, est un exploit exceptionnel. Mais il s’agit de la resituer dans un ordre équitable afin que la pyramide reprenne sa forme primordiale.

Développer une autre forme de perception du monde, voilà ce qui constitue la réponse à cette crise. Il faut mettre un cran d’arrêt à l’uniformisation, revenir à soi et reprendre sa voie singulière.

La grande difficulté va être la reprise en compte du réel. On pourrait craindre à juste titre que cela se passe comme après la crise de 1929, lorsque les fascismes se sont imposés à la suite de l’onde de choc.

Cependant, les effets de ce retournement en Occident devraient être contrebalancés aujourd’hui par l’expérience historique. Le bouc émissaire juif désormais, fait défaut. Israël est un état bien réel, au-delà des fantasmes et des extrémismes suscités par la grande crise de 29.

Bien plus, l’union du judaïsme et du catholicisme, au travers de la Repentance selon Jean XXIII et Jean-Paul II, devrait être un élément important de ce changement. Un retour en arrière parait difficilement envisageable malgré l’offensive actuelle de la Papauté.

En dépit des conflits et contradictions qui l’habitent, Jérusalem demeure la pierre d’angle et le Signe du Retour du Spirituel, au-delà des extrémismes du 20° siècle. C’est autour de lui que se resituent et s’affrontent les différentes spiritualités et religions.

Enfin, derrière cette crise se profile une certaine recomposition du monde.

Après la chute de l’URSS, les Etats-Unis se sont voulus la puissance universelle et ont tenté d’imposer leur idéologie au monde. C’était la fin de l’Histoire, selon Francis Fukuyama. Cette unilatéralité est close. Nous sommes désormais dans un monde multipolaire. La Chine, l’Inde, l’Amérique du Sud s’éveillent d’un sommeil prolongé.

Sachons entendre les nations émergentes et peut être sera-t-il possible de créer une relation nouvelle, avec elles, dans le respect des différences.

Aujourd’hui, l’union des Etats-Unis, de l’Europe et de la Russie pourrait constituer un bloc occidental puissant, à condition que chaque nation accueille et développe ce qui a toujours fait sa singularité.

L’Europe elle-même doit s’unir et prendre en compte toutes les données de sa culture. Elle doit se dire catholique, protestante, juive, laïque c'est-à-dire plurielle.

En France il faut que nous reconstruisions de la symbolique, de l’autorité, du Père, toutes dimensions dont la Révolution nous a privé au profit de la laïcité. Il convient que celle-ci désormais aménagée refonde une nouvelle relation à la différence.

Les Etats-Unis ressourcés à leur propre spiritualité puritaine, l’Europe à sa source grecque et chrétienne, la Russie à son âme profondément mystique et orthodoxe, les juifs à leur spiritualité loin du pur pragmatisme d’inspiration anglo-saxonne, peuvent désormais former une alliance occidentale.

Celle-ci ne doit pas être économique seulement, mais hautement spirituelle. A cette condition seule, elle pourra faire face au défi du monde qui vient.

Cette course à l’argent, à la rentabilité sur la base du puritanisme devrait se changer en son principe d’origine, telle une authentique alchimie. L’or matériel devrait se changer en or spirituel, au sens du principe Un.

C’est cela sans doute qui se dissimulait derrière cette course effrénée au progrès et à l'argent : une authentique soif d’absolu !