vendredi 18 novembre 2016

Pourquoi Trump a été élu


On a dit trop vite que les Etats-Unis avaient souhaité s’offrir une femme comme Présidente, après un Afro-Américain. En fait, ce qui s’est joué là est un vieux réflexe civilisationnel. Les Etats-Unis sont les leaders d’une civilisation judéo-chrétienne dont le symbole est le Père, lui-même fondateur de la Loi, celle-ci dictée par Dieu.

Le peuple ou l’opinion ont besoin de cette symbolique. Elle est leur signe de reconnaissance. Penser que celle-ci puisse s’abolir au profit d’une quelconque féminitude est utopique. Par ailleurs, Donald Trump représente parfaitement le Père dans toute sa splendeur. La Trump tower achève le symbole sexuel.

Les femmes comme les hommes ont finalement cédé à cette symbolique plus qu’aux sirènes d’Hillary, d’autant plus que celle-ci a commis des erreurs graves, en particulier celle de promener comme un petit chien son mari à la mine pitoyable. Cet homme qui a été Président des Etats-Unis pendant huit années se tient à ses côtés, repenti de ses frasques, l’air fatigué, hors d’usage. La femme victorieuse de l’homme, qu’elle a terrassé : très peu pour les Américains.

Par ailleurs, Hillary a été Première Dame, Sénateur de New York. Cela fait beaucoup pour une ambition normale. C’était un peu trop sans doute. Ses dents avaient l’air trop aiguisées.

Cependant, il me semble que le plus important n’est pas là. Ce qui se joue est une guerre plus subtile et plus meurtrière : la prise de pouvoir par les femmes. Il s’agirait selon certains d’un progrès, vers une plus grande égalité.

On assiste en fait dans le cadre du système démocratique à une dissolution des valeurs dont les femmes sont l’un des symboles. En effet, la loi mosaïque donnée par un homme, lui-même agi par Dieu, est attaquée de toutes parts, par le principe féminin dont le plaisir est le signe. Les Etats-Unis sont frappés en plein cœur en tant que représentants d’une ancienne civilisation dite patriarcale.

On patauge désormais dans l’indifférenciation, dans le Genre. On se marie entre femmes, ou entre hommes. Les minorités rongent le pouvoir WASP. On subventionne la Gay Pride. Les intellectuels comme d’habitude s’en donnent à cœur joie, en prônant les marges, la Déconstruction. Il s’agit d’une mode certes, mais qui s’attaque aux fondements même de la société par homosexuels interposés (Michel Foucault), sous le bénéfice d’une sacralité archaïque (Khomenie). L’Occident est moqué au profit d’une globalisation qui tend à créer une civilisation mondiale dont les multinationales seraient les égéries.

Pour que la consommation devienne la maîtresse du monde, il faut dissoudre les cultures, les identités. Hillary, alliée aux Démocrates et aux minorités qui ont une immense revanche à prendre, bien au-delà de la victoire d’Obama, se proposait d’aller dans ce sens : celui d’une globalisation, sous le signe des bons sentiments.

Si Vladimir Poutine à laquelle elle s’est attaquée, est si populaire dans le monde, c’est parce qu’il est également lui-même un symbole de la Loi. Il reconstruit un Empire, qui fait partie de l’Occident, sur des bases orthodoxes donc chrétiennes.

Avoir tenté de faire des femmes les alliées nécessaires d’Hillary était prématuré. Beaucoup ont dû voter pour le mâle, le Père, le Président dont elles ont besoin pour se positionner, à partir de leurs propres structures familiales, pour s’identifier.

Trump n’a pas d’expérience. Sa présidence montrera s’il aura été capable d’y suppléer par le génie politique. En tout cas dès le premier jour on attaque son « racisme » avant même qu’il n’ait édicté une seule loi. Cependant, ce qui aura bénéficié à la société et au-delà, à la civilisation, c’est qu’il a replacé à sa juste place, la question du Père.

Détail essentiel : dès son accession au pouvoir, il a évoqué le transfert de l’Ambassade des Etats-Unis de Tel-Aviv à Jérusalem, qu’il nomme indivisible et éternelle. Ce principe est la base même de la civilisation occidentale, en ce qu’il est le fondement du judéo-christianisme.

Il est inexact de penser que la présidence d’Hillary aurait apporté la paix. C’est le contraire qui était prévisible. Si elle avait été élue, elle aurait immédiatement engagé le bras de fer contre Poutine.

Par ailleurs, la femme sans doute, est plus guerrière que l’homme, en raison précisément de la puissance de son affect. Elle ne se détermine pas en fonction de la seule Loi mais aussi de ses sentiments et de sa sensibilité, ce qui est dangereux.

Il est certain que si Hillary avait triomphé, cela aurait été un signal très fort qui aurait été envoyé au monde : celui du triomphe de la femme.

Il ne s’agit pas que l’un prenne le pouvoir sur l’autre. L’homme et la femme ne sont pas égaux. Ils sont différents et complémentaires. L’un et l’autre ne peuvent se réaliser que dans le cadre d’une alliance. C’est ce que dit la Bible. Cette alliance elle-même ne peut se conclure qu’à l’intérieur d’une civilisation qui pose comme base le règne de la Loi. Elle n’asservit pas les protagonistes. Elle les libère. La Loi du Père, c’est la Loi de Dieu et Dieu est au-delà de la femme et de l’homme. Il Est, tout simplement.

La démocratie est femme. Elle est changeante, sensible comme l’opinion, offerte à la séduction. Elle est tombée dans les bras de Napoléon mais aussi dans ceux d’Hitler et de Staline. Il faut lui accorder des contrepoids, et le seul valable est un principe civilisationnel puissant, la Loi. Seule elle amarre véritablement la civilisation à elle-même. C’est pourquoi aux côtés du système démocratique, il faut poser une religion puissante, comme aux Etats-Unis, telle la religion protestante, associée aux Lumières.

C’est ce qui fait défaut à la France, qui en 1789, a éradiqué ses propres racines spirituelles, qui s’est castrée.

Cependant il est dans la démocratie un vice essentiel. C’est l’étudiant qui signifie au professeur ce qu’il souhaite étudier. Il choisit ses cours. D’une certaine manière, l’éditeur fait de même : il publie ce qu’il pense pouvoir intéresser le grand public. Pour les élections, il en va de même. On dit au peuple ce qu’il désire entendre. Les principes que l’on édicte ne viennent pas d’en haut, mais de la base. La masse de plus en plus vaste dicte sa loi au marché.

La désacralisation du livre est ce qui est le plus visible et le plus dangereux dans le monde actuel. Celui-ci devient un produit comme un autre, alors qu’il avait un rapport avant tout à la sacralité, dans le prolongement de la Bible, de l’Evangile, du Coran ou de l’Odyssée. Dans notre société, un bon livre est un livre qui se vend, ce qui met à peu près à mal tout ce que compte notre littérature.

L’acte de création est un acte totalement gratuit et c’est ce qui le rend absolument révolutionnaire.

Ces principes démocratiques entrent en conflit avec un autre principe transcendant celui-là : le principe religieux. Si bien que nous nous situons dans une contradiction flagrante entre les principes démocratiques, venus de la Grèce et les principes judéo-chrétiens. Cependant c’est cette contradiction qui nous anime, nous fait vivre. Elle nous vivifie.

La vraie crise de la civilisation, réside dans l’abandon par les hommes de la Loi du Père, et la plupart du temps, sous l’influence de penseurs juifs. Marx, Freud, Derrida, étaient tous Juifs, qui dans le contexte de la société de leurs temps, ne pouvaient assumer leur identité et en conséquence, imaginaient des mondes dont le moteur était un égalitarisme pervers, que ce soient le matérialisme historique, la psychanalyse ou la déconstruction. Ces univers sont tous fondés sur la destruction du Père, à savoir le Dieu juif.

Les révolutionnaires de 1789 l’avaient déjà réalisé mais sans le nommer idéologiquement.

Lorsque cette Loi du Père n’est pas respectée, se produisent des déviances qui peuvent engendrer le pire. C’est ce qui s’est passé avec le phénomène hitlérien. L’espace tragique européen, issu de la Grèce, était attaqué de plein fouet par le marxisme, lui-même une perversion de la Loi juive.

C’est la civilisation judéo-chrétienne qui est mise en cause par les héritiers de ces inventeurs. C’est pourquoi la tâche aujourd’hui, au-delà de ces penseurs, est de reconstruire du Père, du sens, de la symbolique. Ce que nous cherchons, au plus profond de notre inconscient, c’est de retrouver une identité qui nous permette d’exister. Cette identité, c’est la rencontre entre l’un et l’autre, ouverte sur l’infini.

C’est pourquoi on ne peut comprendre le combat acharné des femmes aujourd’hui, sans le situer dans la perspective d’une reconstruction globale de la société. Celles-ci ne s’insurgent que parce que les hommes, en particulier depuis la Révolution française, ont perdu le lien avec Dieu. C’est d’abord ce lien qu’il s’agit de recréer, et en ce sens, Jérusalem est sans doute un symbole essentiel. Il est la résurrection au sein du monde occidental de la question du Père, après « les extrémismes de notre temps », à savoir le nazisme et le stalinisme, surgis tous deux dans un monde sans Dieu, dont Nietzsche a été le prophète. La vraie prophétie est ici : le Retour, symbole de notre unité.

C’est la raison pour laquelle je ne vois pas le monde arabe comme un ennemi. Il faut au contraire l’aider à se reconstruire, en accord avec une civilisation judéo-chrétienne, elle-même retrouvée. L’Islam est une religion du Livre, et nous devons la respecter en tant que telle. L’agression en Irak ou en Syrie, sont des forfaitures. Depuis la fin de l’Empire Ottoman, notre présence au Moyen-Orient est porteuse de malheurs.
Bush était le représentant d’une Amérique seulement intéressée par le pétrole. Si elle souhaite demeurer grande comme le prétend Donald Trump, elle doit revenir à ses sources religieuses et assumer le fait d’être le pilote d’une civilisation dont Jérusalem serait la capitale spirituelle.

C’est cette civilisation qui appellerait les Musulmans à s’unir à elle pour une nouvelle rencontre historique. El Aqsa, l’Eglise de la Résurrection, le Mur des Lamentations, seraient le symbole d’une grande civilisation, à condition que l’Islam accepte la présence définitive d’Israël sur son sol et l’unité indivisible de Jérusalem. Telle est la tâche de Donald Trump. Telle pourrait être le nouveau rêve américain.

Le grand problème, c’est la France, dont les racines spirituelles ont été arrachées au moment de la Révolution. Elle ne pourra continuer à exister que dans le cadre d’une Europe elle-même restructurée autour de ses anciennes valeurs et parvenue à faire son unité autour de celles-ci.
La laïcité française devient chaque jour plus contraignante et tend elle-même à devenir un totalitarisme…

C’est pourquoi il est important que Donald Trump réaffirme avec clarté cette loi, sans peut-être en être intellectuellement conscient.

Edouard Valdman

Dernier livre paru : Demain l’Occident.

mercredi 9 novembre 2016

Evènement à la Maison du Barreau

Chers amis,

Un de mes poèmes En soi le désert, écrit en 1980, sera publié dans la Revue du Palais littéraire. 

Le 16 novembre prochain, Place Dauphine à Paris, à la Maison du Barreau, aura lieu une après-midi dédicace. 

Je ne pourrai être présent. 

La Revue sera en vente à cette occasion. Je vous joins la brochure réalisée pour la communication. 

Le Palais littéraire serait très honoré par votre présence,

Très cordialement,

Edouard Valdman


vendredi 4 novembre 2016

A propos des élections américaines


Dans le combat qui se livre aujourd’hui entre Hillary Clinton et Donald Trump, se manifeste le traditionnel show, cher aux Américains. Il s’agit d’un immense spectacle à l’intérieur duquel les acteurs doivent déployer une énergie considérable. Il faut être pugnace, captiver l’auditoire, le convaincre. Il faut savoir se vendre.

D’ores et déjà, à ce niveau, la démocratie américaine se montre telle qu’elle est : un jeu de puissances souvent apparentes. Louis XI, Richelieu, auraient-ils été capables de remporter ce challenge ? Rien n’est moins sûr.

Leur sens du gouvernement était sans doute plus nuancé. Il ne s’agissait pas nécessairement de parler fort, ni surtout devant des foules, mais d’agir, insidieusement, subtilement.

Le fait de s’exprimer si fortement, devant d’immenses auditoires est-il la preuve d’une capacité à gouverner ? Rien n’est moins sûr.

Ce sont des qualités extérieures. Elles ne prouvent en aucun cas l’aptitude de la personne, son intelligence, ou sa compétence en matière politique.


L’autre élément important ici c’est la sexualité. De Bill Clinton à Trump, c’est elle qui mène le jeu. Le sexe en Amérique est tabou. On peut répandre la pornographie dans le monde entier par Playboy interposé, mais commettre la moindre incartade dans le cadre de la vie familiale ou dans celui de l’Etat constitue un crime. C’est là où les Américains révèlent leur vraie nature puritaine.

Le sexe doit être encadré par une convention sociale. La pornographie peut s’inviter dans le débat, car elle ne touche pas l’essentiel : elle est d’une certaine manière une confirmation de l’ordre, un accessoire à celui-ci. Par contre, si l’homme ou la femme américains, venaient à aimer, dans une relation érotique, ce serait dangereux, car il y aurait plaisir, et la production pourrait s’en trouver affectée. Le travail en pâtirait.

L’authentique érotisme hors mariage remet en cause les valeurs de la société.

Bill Clinton s’est excusé auprès des Américains son incontestable dérapage. Il a fait amende honorable. Il a demandé pardon et reconnu sa faute. C’est tout ce que souhaitait l’Amérique.

Trump s’est également excusé de ses incartades (la vidéo), bien qu'elles n'aient pas eu lieu dans le bureau ovale et qu'elles aient été en conséquence beaucoup moins graves. Il a cependant, comme Bill, appelé sa femme à la rescousse. Elle aussi a pardonné. Tout le monde est réconcilié et le système peut continuer à fonctionner.


On peut se demander d’ailleurs comment Hillary a eu l’audace et le courage de se présenter aux élections. En effet, elle traîne depuis toujours ce boulet qui est l’attitude de son mari dans l’affaire Monica Lewinsky, alors qu’il était Président. La pudeur aurait dû en principe l’en empêcher.

Bien au contraire, on dirait que c’était à l’occasion de cette affaire, que sa détermination s’est affirmée. Elle constitue semblerait-il, une revanche de la Femme américaine contre l’Homme. C’est de celle-ci qu’elle tirerait son énergie. Bien plus, amener son mari avec elle, comme elle le fait, dans les débats et autres manifestations, constitue semble-t-il une authentique manifestation de la volonté d’en découdre.

Le fait que la présence de Bill Clinton à la Maison Blanche en tant que « first husband » soit un élément de la future présidence, ne semble pas avoir été souligné outre mesure par l’opinion américaine. Il y aurait en fait deux Présidents.

Comme les Américains aiment beaucoup les symboles, celui-ci serait extrêmement fort : la première femme Présidente des Etats-Unis,  une femme bafouée, enfin vengée. Désormais la femme américaine est la reine de l’Amérique et du monde. Elle terrasserait ainsi le mâle dominant, Trump, aussi bien que Bill.


Au-delà de ces deux aspects du débat, on a assez peu parlé des vrais problèmes. On les a effleurés : l’économie, les affaires étrangères, l’immigration ou la santé.

Trump a reconnu un fait capital : il ne paie pas d’impôts. En Amérique, lorsque l’on possède de très grosses entreprises, telles les Trump towers par exemple, immeubles qui nécessitent continuellement des travaux considérables, ceux-ci grèvent les revenus du propriétaire. Il en est exonéré. 

Trump a très bien assumé cette attitude, parfaitement américaine et capitaliste. On pourrait dire qu’elle est même le signe le plus puissant de cette dernière. Ses compatriotes intègrent cette dimension de leur société. Ils n’en sont même pas choqués. Plus on est riche, et moins l'on est imposé. 

Trump est le représentant authentique de cette Amérique aventureuse, combative, conquérante, sans scrupules. Il apparaît comme un grand homme d’affaires dans la tradition des Morgan, des Guggenheim. Il en est le continuateur parfait.

Son adversaire, Hillary représente davantage la moyenne bourgeoisie, la middle class, les avocats, les médecins. Elle apparaît plus humaniste. Elle est défendue par des intellectuels, dans la tradition démocrate. Elle prétend continuer la politique d’Obama en matière de health care, que Trump a l’intention de supprimer.

Dans cette matière, Obama a porté atteinte à un principe sacro-saint de la société américaine et Trump a su le montrer. Il a touché à la liberté, au sens libéral du terme, en obligeant tout le monde à souscrire une assurance, en rendant chaque citoyen responsable de son propre état de santé.
Jusqu’à son avènement, seuls les très pauvres étaient couverts par ce que l’on pourrait appeler comme en France la Sécurité Sociale. Les autres étaient libres de souscrire ou non à une assurance. Ils y sont contraints désormais, ce qui rapproche ce régime du système français.

Cette socialisation de la société américaine risque de l’affaiblir. Trump insiste sur ce point. En effet, cette nation n’a été grande jusqu’à aujourd’hui que parce qu’elle a été libre d’entreprendre. Toute contrainte à la française lui était inconnue. 

Ceci est d’autant plus grave que l’Amérique est la machine qui traîne le train occidental, et que si celle-ci venait à s’embourber ou à ralentir, c’est l’Europe et le monde qui s’enliseraient.

Trump a su également montrer au peuple américain, le danger que lui fait courir Hillary Clinton, en souhaitant continuer la politique d’Obama, ce qui risque de la socialiser encore davantage.

Pour les affaires étrangères, en ce qui concerne la Syrie en particulier, on touche à un domaine très délicat.

Trump défend une politique de rapprochement avec la Russie, qui maintient elle-même au pouvoir Bachar Al-Assad. En effet, que ce soit la guerre en Irak, celle en Lybie : le fait de détrôner les dictateurs en exercice s’est soldé par des échecs cuisants.

C’est dans ce sens que Poutine ne souhaite pas commettre les mêmes erreurs et que Trump lui donne son aval.

Hillary au contraire, à l’instar de Bush, avait voté en faveur de la guerre en Irak. Et même si elle le regrette aujourd’hui, prend le risque, de mettre comme lui, le pied dans la fourmilière, en se positionnant contre Bachar Al-Assad et contre la Russie.
Elle semble vouloir entreprendre une nouvelle Guerre Froide, qui pourrait nous mener à la guerre, tout court.

Bien plus, Obama n’a pas fait bon ménage avec Poutine, et Hillary se prépare à faire de même. Ce serait sans doute une grave erreur de se séparer de lui, au moment où l’Occident a besoin de réunir toutes ses forces face à la montée des nations émergentes.

Ce qui est inquiétant et qui laisse les Américains insatisfaits quant aux deux candidats : ceux-ci semblent manquer d’éthique.

Trump certes est un grand homme d'affaires, mais ce ne sont pas les états d’âme ou les scrupules qui semblent l’étouffer. A propos de son comportement vis-à-vis des femmes et d’une pseudo-vidéo, réalisée il y a bien longtemps, il faut s’étonner que ces prétendues victimes se manifestent la veille de l’élection présidentielle. Cela sent la manipulation. S’il y avait eu véritablement atteinte à la personne, il est probable qu’elles auraient agi antérieurement. Il n'en reste pas moins que son comportement apparaît comme léger. 
Il s’agissait du même cas dans l’affaire Strauss-Khan. Des maîtresses soi-disant violées se sont soudain découvertes écrivaines. Cela était censé, pensaient-elles, leur rapporter de la renommée et sans doute de l’argent.
Concernant Hillary, et son mari, la confusion entre leurs intérêts et ceux de la fondation Clinton, son obsession du pouvoir après la présidence de Bill, son accord avec Obama après avoir lutté avec acharnement contre lui, le moins que l’on puisse dire, est qu’elle n’apparaît pas totalement claire, à moins que ce ne soit cela précisément le talent du vrai politique.

Quant aux emails qu’elle aurait reçus sur sa messagerie et qu’elle aurait renvoyée elle-même sur celle d’un collaborateur, ce comportement apparaît comme suspect, concernant une candidate à la Présidence des Etats-Unis.

En tout cas ceci éloigne des vrais problèmes et tente de dissoudre le débat au profit de ce que le Général de Gaulle appelait « la basse police ».

La question de l’immigration et la manière dont chaque candidat l’aborde, est sans doute le plus important et le plus décisif.

Hillary, dans le prolongement de l’action d’Obama, serait susceptible d'accorder la nationalité américaine à de nombreux immigrés entrés aux Etats-Unis en fraude, faisant sans doute le calcul qu’ils voteront pour les Démocrates aux prochaines élections. Il s’agit à la fois d’une stratégie politique et d’une tradition de ce parti, généreuse. C’est la grande Amérique, capable par sa puissance même d’accueillir tout un chacun.

La position de Trump est différente. Il pense que l’immigration incontrôlée est à la source du terrorisme. Bien plus, les immigrés pense-t-il, vont submerger les premiers arrivants, les fondateurs de l’Amérique, les WASP, les blancs, et faire de l’Amérique, au-delà du melting pot, une nation sans centre, sans direction, une nation métissée.
Cette position risque de rencontrer beaucoup d’adeptes, qui sans le dire tout haut, le pensent tout bas.
Que ce soit en Europe ou aux Etats-Unis, le problème se pose d’une manière assez similaire. Trump le dit d’une façon abrupte, violente, mais c’est cette violence-même qui donne à son propos une audience importante.

Les pays occidentaux voudront-ils demeurer judéo-chrétiens ou sombrer sous l’afflux des immigrés, qui un jour ou l’autre, risquent de les absorber, comme le firent jadis les Barbares avec l’Empire Romain.

Trump ne prêche pas pour un recroquevillement de l’Amérique sur elle-même mais au contraire pour une reprise en compte de ses racines afin de pouvoir intégrer davantage et se réaliser plus loin.

Les Démocrates sont davantage tentés par la globalisation, une sorte de culture mondiale, qui supprimerait les trop grandes disparités, et en même temps, réduirait les spécificités, les identités, les singularités, les cultures.

Pour comprendre ce qu’est celle-ci, il suffit de regarder ce qui se passe dans la campagne française. Elle est dévastée. Les petits commerçants ont disparu, au profit du supermarché, qui règne en maître. La procession n’a plus lieu désormais le dimanche, au Temple, à l’église ou à la synagogue. Elle se passe ici dans les nouvelles églises des Temps Modernes.

Les enfants du petit commerce ont quitté le village au profit de la ville, où ils sont devenus prolétaires ou employés de banque. Ainsi désormais c’est le marché qui dicte sa loi. Il n’y a plus de Français, d’Anglais, d’Hindous, de Chinois : il y a des consommateurs, sujets des multinationales qui leur imposent leur produit.




Il est possible que la mondialisation ait élevé le niveau de vie des populations sous-développées, qu’aient pu leur être distribués d’avantage d’aliments, mais à quel prix : celui de la destruction de leur culture, comme celui de la nôtre. Nos églises se vident, mais pas au profit de plus vastes croyances, à celui du temple des Temps Modernes, celui de la consommation, le super U.

Aujourd’hui la plupart des emplois aux Etats-Unis ont été exportés en Chine, où la main-d’œuvre est meilleur marché. Ceci enlève aux Etats-Unis leur énergie, leur goût d’entreprendre et de travailler, les réduit à la pure spéculation. Ils sont séparés du faire, ce qui rend la société plus abstraite, plus virtuelle. Trump dénonce cet état de chose. 


Par ailleurs, désormais, sans ordinateur, sans téléphone portable, sans produits importés, nous ne sommes plus rien. Le Skype achève de nous déréaliser. On se parle, on se voit, à des milliers de kilomètres, à l’autre bout du monde, mais on ne se touche plus, on ne se sent plus. On est persuadés qu’il y a là un vrai dialogue alors qu’il s’agit d’un simulacre.

Le monde vit sur le simulacre. Il est devenu un fantasme. La machine un jour va se dérégler, comme se dérègle d’ores et déjà un ordinateur, un téléphone ou un avion. C’est ainsi que cela finira : par un accident qui fera éclater la Terre.

Tout ceci a été décrit de long en large par des écrivains prophétiques, tels Orwell, et consœur. Nous y sommes.

Ce qui apparaît très clairement dans ce débat, c’est l’absence d’une dimension proprement intellectuelle. Pas un mot sur la culture, sur la civilisation, sur la religion, sur l’art, c’est-à-dire sur ce qui constitue notre civilisation, ce qui fait sa grandeur. Cela à mon sens est particulièrement inquiétant. Sans la culture, nous ne sommes pas. 

Cependant, la vraie question est celle de la crise de la démocratie : Nietzsche prévoyait cette société désormais gouvernée par des femmes, sans Loi, sans Maître, sans phallus.
 Il pensait que la femme est avant tout sensorielle, ce qui ne veut pas dire sans autorité, mais plus proche du désir que de la Loi.
Le système démocratique est-il encore susceptible de gouverner des masses aussi considérables que celle des Etats-Unis et de les remettre en tenue de combat ? Telle est une des questions que dans la ligne de Nietzsche et ceci, sans connaître sans doute l’existence de ce philosophe, a posé Trump.

N’oublions pas que la démocratie athénienne n’a prévalu que grâce au génie de Périclès et a disparu sous les coups d’Alexandre.
N’oublions pas non plus que Socrate a été condamné à mort dans un système démocratique parce qu’il n’adhérait pas à sa pensée unique et qu’il prétendait « ne rien savoir ».
N’oublions pas enfin que Hitler a grandi dans un régime démocratique et qu’il a été élu par le peuple allemand.

En fait, l’avenir qui s’annonce risque d’être problématique.

Les Etats-Unis se fondent de plus en plus dans une indifférenciation générale, servie par des théories intellectuelles, dont la France est partie prenante : la Déconstruction, ou le Genre.

Le noyau dur WASP qui a fait les Etats-Unis se dissout peu à peu dans une mondialisation, qui mène progressivement à une authentique perte d’identité.

On ne sait plus qui l’ont est : femme ou homme, noir ou blanc, homosexuel ou hétérosexuel. L’angoisse vous saisit.

C’est le moment en général où des réactions violentes se produisent. C’est d’ailleurs ce qui s’est passé sous la République de Weimar avant l’avènement d’Hitler. Il existait de grands conflits d'identité.

Si l’Amérique veut demeurer elle-même, elle ne peut laisser pénétrer chez elle n’importe qui sous n’importe quel prétexte. Elle doit se redéfinir autour d’un noyau dur : celui qui a constitué son fondement d’origine.

Dans le cas contraire, elle deviendrait une nation ouverte à tous les vents, dont les ennemis se partageraient très vite les dépouilles.

Le problème se pose de la même manière en Europe : si celle-ci veut le demeurer également, elle doit définir les limites au-delà desquelles elle peut accueillir n’importe quelle minorité, sous peine de perdre son identité.

Il faut redresser la machine afin qu’elle reprenne sa vocation première. Si elle veut continuer à intégrer des peuples nombreux et divers, elle doit redéfinir ses principes de base. Pour être universel, il faut d’abord préciser ses fondements, son enracinement.

C’est à cette tâche que doivent désormais se consacrer à la fois l’Europe et les Etats-Unis.

La grande tentation pour l’Amérique aujourd’hui et pour l’Occident tout entier est de penser et de croire qu’ils peuvent accueillir tout un chacun et devenir un tissu de peuples, de races et de couleurs de cultures différentes, autour d’une loi vaguement définie, autour d'une quelconque écologie ou théorie climatique.

Si l’Empire Romain a pu gouverner le monde comme nous l’avons fait nous-même, car nous ne constituons jamais que son prolongement, c’est parce qu’à l’intérieur de la Romanité et de l'Occident se déployait un noyau dur qui les constituait. Nous sommes des judéo-chrétiens. Cette affirmation s’est poursuivie au-delà de la fin de l’Empire Romain, à travers Byzance.

Charlemagne a pris la suite en devenant Empereur chrétien d’Occident. C’est le Christianisme qui après la Romanité a pris la relève et est devenu le nouveau noyau dur de l’Empire. Nous sommes toujours dans cette mouvance.

Les Etats-Unis en sont les héritiers. C’est aujourd’hui la religion protestante qui est leur fondement, en même temps que les Lumières. Ils ne peuvent continuer leur course que s’ils sont capables d’affirmer leurs valeurs d’origine, contre toutes les tentations de l’indifférenciation.

Il est probable que Hillary sera élue, d’abord parce qu’elle est en piste depuis plus longtemps que Trump et qu’il ne sera pas dit par ailleurs que les Américains n’auront pas élu une femme. Elle possède par ailleurs une plus grande expérience politique. 


Cependant, le mérite de ce débat aura été d’avoir posé quelques vrais problèmes. Il sera difficile de les éluder. Hillary probablement n’aura pas le Sénat avec elle, et en tout état de cause, ces questions font désormais partie de la vie politique américaine et de la vie occidentale tout court.

Donald Trump a eu le courage d’en poser un certain nombre, avec détermination et clarté. L’Histoire lui en sera certainement reconnaissante. Bien que Républicain, il a eu le mérite de condamner l’intervention de Bush en Irak alors que Hillary avait voté en sa faveur.

Il définit une nouvelle stratégie pour les Républicains. Il est normal que beaucoup d’entre eux lui en veuillent, car il brise les lignes, dérange profondément et cependant, c’est à travers des hommes comme lui, que la société s’est toujours renouvelée et recréée.

A la fin du film de Sylvester Stallone, Rocky, il y a une scène où le héros, ensanglanté, souffrant tel un Christ, mais vainqueur, se traîne pour sortir du ring.

Les protagonistes du débat pour les élections de 2016 aux Etats-Unis me font penser à ce héros, en ce sens qu’ils vont au bout de leurs forces, au bout de leurs ressources. Ils ne sont plus Républicains ou Démocrates. Ils cherchent d'abord à se dépasser.
C’est ce que je trouve remarquable dans la société américaine, cette quête de l’impossible qui emmène dans la lune comme dans les étoiles.

Le match Clinton-Trump, au-delà des causes que ceux-ci sont censés défendre, est avant tout un combat qui donne à la vie sans doute, son sens le plus noble.

Edouard Valdman, New York, le 4 novembre 2016

Dernier livre paru : Demain l’Occident

mercredi 28 septembre 2016

VERS UNE LAICITE PLURIELLE

Edouard Valdman publiera prochainement un essai consacré à la laïcité : "La laïcité, ça suffit !".

Voici le texte de présentation.

La laïcité à la française doit être remise en question. Dans le passé, elle n’a pu empêcher ni l’affaire Dreyfus ni Vichy. De nos jours, elle est impuissante à intégrer les minorités religieuses. Elle ne constitue pas un rempart suffisant à la montée de l’intégrisme et de l’antisémitisme. Elle doit laisser place à une laïcité « plurielle » à l’anglaise, qui préserve un espace d’expression pour les différentes religions.

La laïcité en vigueur en France éradique la part sacrée en l’Homme. Lorsque l’on porte atteinte au nom de principes abstraits, à la question de Dieu, le totalitarisme a la tentation de s’engouffrer dans cet espace vacant. C’est ce qui est advenu. Comme l’évoque Hannah Arendt, « la notion d’Homme », au sens révolutionnaire du terme, est une pure abstraction. On sait ce qu’est un bourgeois ou un prolétaire. Un « Homme », on ne l’a jamais vu. C’est la raison pour laquelle ces « Droits de l’Homme » ont été balayés si aisément par Vichy. La laïcité ne débouche pas nécessairement sur le principe de tolérance si souvent évoqué. Voltaire, ennemi acharné de l’obscurantisme religieux, était violemment antisémite. Par ailleurs, le déficit symbolique induit par la Révolution française, la mort du Roi, symbole de Dieu, du Père et de tout principe d’autorité, ont débouché sur la Terreur et la dictature bonapartiste. La toute-puissance de la Raison, issue de la philosophie des Lumières, a trouvé un de ses prolongements dans les dictatures marxistes. Les Droits de l’Homme de 1791 ont certainement constitué un progrès. Mais ils ont débouché sur un vide spirituel et un principe étroit de la laïcité qui ont montré leur impuissance face aux extrémismes.

Au Royaume-Uni règne le principe de tolérance multiculturelle. Il n’y a donc aucune restriction au port de signes religieux à l’école ou dans l’espace public. L’idée était de faciliter ainsi l’intégration des membres des anciennes colonies de l’empire. Aujourd’hui encore, les Sikhs sont coiffés d’un turban et arborent parfois le poignard pour accompagner leurs enfants à l’école ou faire leurs courses au supermarché. Il existe un enseignement du christianisme et des principales religions pratiquées dans le royaume. Enfin, le voile est autorisé dans les lieux publics, y compris le voile intégral, même pour des filles mineures ! Faut-il aller jusque-là ? Non, car le voile intégral est une aliénation, une atteinte à la dignité humaine.

Mais faut-il pour autant faire la sourde oreille à ceux qui expriment leur volonté d’afficher publiquement leurs croyances ? Cette démarche n’est-elle pas finalement en relation avec la liberté d’expression ? On pourrait d’ailleurs considérer le port du voile islamique (non intégral), de la kippa juive, de la croix chrétienne, du turban sikh comme l’expression d’identités précieuses à l’heure de l‘uniformisation mondiale. Par ailleurs, et c’est le point le plus important, l’exercice caché de la religion risque de renforcer le sentiment de persécution dont se nourrissent les extrémismes. Au contraire, l’expression pacifiée et publique des identités religieuses peut être un rempart contre la montée des tensions interreligieuses. Enfin, reconnaître une part de spiritualité en chacun de nous, pourrait être le meilleur vaccin contre l’émergence de mystiques improbables. L’enseignement à l’école de l’histoire des religions nous semble ainsi souhaitable.

Aujourd’hui, dans le cadre de la construction de l’Europe et dans sa relation avec le Royaume-Uni ou les Etats-Unis d’Amérique, pays religieux, la France apparaît vulnérable en raison de son déficit symbolique, conséquence de la laïcité réductrice. Cette laïcité a montré ses limites. Elle devrait évoluer vers une laïcité « plurielle » qui intégrerait les différentes minorités religieuses. Cela signifie bien sûr une plus grande permissivité sur les signes religieux dans l’espace public, une plus grande tolérance à l’égard de coutumes, pratiques, spécificités liées à la religion et, bien sûr, l’enseignement de l’histoire des différentes religions à l’Ecole, assurée par des enseignants publics ou non. Si ce principe renvoie à une référence, c’est à la Loi au sens sinaïtique du terme (Les dix commandements) et au monde anglo-saxon fondé sur la présence de Dieu.

La laïcité « plurielle », proche du modèle anglais sans ses excès, n’aurait pas pour seul effet d’apaiser les tensions interreligieuses. Elle cicatriserait la plaie, celle du Parricide de 1793, non pour amener la France à un retour au catholicisme mais à une reprise en compte beaucoup plus vaste de la question du Père. Ce processus est d’ordre psychanalytique.

Elle permettrait de faire rejaillir les différentes spiritualités qui reposent au plus profond de l’âme de la France.

Edouard VALDMAN

mardi 8 mars 2016

ANNONCER LA COULEUR

(UNE EXPOSITION DE GERARD FROMANGER AU CENTRE GEORGES POMPIDOU du 17 février au 16 mai 2016)

J’ai connu Gérard Fromanger et le Front des Artistes Plasticiens (le FAP) dans les années 70, dans le prolongement du Mouvement de Mai 68.
Ce groupe de peintres « contestataires » se réunissait chez un pseudo-intellectuel (terme devenu à la mode comme chacun sait) Redélé, qui habitait au 7 de la rue Mazarine.
J’avais d’ores et déjà rencontré Jean Hélion, grand artiste français, qui avait fait une première partie de sa carrière aux Etats-Unis.
 
J’avais eu avec lui des conversations passionnantes à propos de l’art. Je venais moi-même de publier mes premiers textes poétiques et il m’a fait l’honneur d’illustrer deux de mes recueils. Sur la couverture de l’un de ceux-ci, intitulé « Mai 68 » figurait la photo d’une de ses toiles « La flamme » qui constitua ultérieurement le titre d’un de mes ouvrages.
 
Dans l’antre de ce « gauchiste » se réunissaient un nombre important de peintres qui prétendaient s’interroger sur la relation des artistes avec le marché de l’art. Ils étaient tous de gauche avec cependant des nuances. La plupart étaient plutôt maoïstes, ou appartenant à des groupuscules, telle la Ligue Révolutionnaire.
 
En tout cas, dès alors s’élaborait une authentique stratégie pour mettre en cause le marché de l’art à l’occasion notamment d’une exposition qui allait devenir très fameuse « L’expo Pompidou » !
 
Georges Pompidou avait décidé en effet, dans le prolongement de la création du Centre Beaubourg, celle d’une grande exposition d’arts plastiques destinée à promouvoir la peinture française et à la mettre à l’unisson du marché international.
 
C’était une initiative très louable.
 
Le FAP prit immédiatement position « contre ». Cette exposition était selon lui destinée à être la vitrine de l’art bourgeois capitaliste.
 
J’ai participé à ce moment, dans le cadre d’un journal qui a disparu depuis « L’art vivant », à un débat avec Jean Clair, futur académicien, à propos de cette manifestation.
 
J’étais devenu insensiblement, par affinité, proche de l’ensemble de ces artistes, en quelque sorte leur témoin.
 
De nombreux peintres, qui avaient été invités à cette exposition et qui en auraient dû être honorés, décidèrent de refuser leur participation, avec sans doute quelques arrières pensées. Ce fut le cas d’artistes du FAP, tels Cueco, Louis Cane, Marc Devade, Fromanger et autres.
 
Peu d’intellectuels avaient suivi le FAP. Pierre Bourgeade était un de ces rares, qui jusqu’à présent avait rarement écrit sur la peinture et qui était plutôt connu pour ses livres érotiques.
 
Le plus adroit, le plus politique et le plus séduisant parmi ces artistes était sans aucun doute Gérard Fromanger.
 
Il déployait dès alors la stratégie d’une future carrière. Il avait préparé sa prise de pouvoir, à l’occasion de cette exposition, qui devait être, selon lui, un événement culturel important.
 
Il s’était lié à titre personnel à des intellectuels qui avaient sans doute intérêt, pour leur propre renommée, à s’entourer d’artistes : Guattari, Gilles Deleuze, Michel Foucault, sans oublier Jacques Prévert, une très ancienne relation de Gérard.
 
Avec Deleuze en particulier, Fromanger avait organisé le sabotage de l’ « Expo Pompidou ». Il était difficile de l’entamer véritablement car il s’agissait d’un immense événement qui se déroulait au Grand Palais. Cependant à l’occasion de son inauguration, on pouvait créer un « scandale », qui ferait du bruit et rejaillirait sur la notoriété des artistes concernés.
 
C’est ce qui est advenu. Un certain nombres de peintres ont retiré leurs toiles sous les flashs des photographes, tels Cueco, Ipousteguy, Le Parc et autres artistes de moindre renommée.
 
J’étais présent à ce moment, devant le Grand Palais, et je me souviens que Deleuze et Fromanger, les maîtres de cette initiative, avaient manifesté bruyamment et avaient attiré l’attention des CRS. Ils les avaient provoqués et ils cherchaient à tirer les dividendes de ce comportement.
 
Fromanger prétendait à l’époque, ce qui était exact, avoir appartenu à une galerie parisienne importante, la galerie Maeght, et s’en être échappé pour des raisons idéologiques, ce qui était plus problématique.
 
Maeght représentait le Capitalisme et lui Fromanger, le Peuple. Il faisait semblant de le croire.
 
A peine avait-il donné son congé de la galerie Maeght qu’il entrait dans une galerie non moins importante, la galerie Denise René, où il exposait des figurines chinoises. C’était sa période Maoïste. Foucault et Deleuze cautionnaient.
 
Il y avait un autre intellectuel que Rédélé, le propriétaire de l’appartement  de la rue Mazarine accueillait avec beaucoup de précaution et de bienveillance, c’était Jean-Paul Sartre.
 
Il évoquait évidemment de sa voix sourde le « pouvoir gaulliste », « sa dictature » (selon ses schémas habituels, démagogiques). Il était déjà très âgé et ne pouvait se déplacer aisément.
 
Après ces péripéties assez frivoles, à l’occasion desquelles Fromanger et consort prétendaient mettre en cause le marché de l’art, ce qui n’était pas en soi déraisonnable et était même opportun, les choses ont repris leur cours et les carrières leur droits.

Fromanger est resté fidèle à ses amis de Libération, Serge July et autres, et à la gauche surtout lorsqu’elle eut pris le pouvoir en 1981. A chacune de ses expositions celle-ci se déplaçait en bloc, tels Jacques Lang, Jospin et Geismar, l’ancien Révolutionnaire, devenu inspecteur de l’Education Nationale.
 
Les « révolutionnaires » qui avaient tous été plus ou moins défendus par Henry Leclerc, célèbre avocat des gauchistes, étaient devenus des personnages importants de l’establishment socialiste ? Ils étaient tous « casés » tel Henry Weber, ami de Laurent Fabius, mari de Madame Servan-Schreiber, productrice de films, devenu entre-temps Sénateur. On était en plein dans les « fromages » comme les nommait François Mitterrand lui-même.
 
Sur ce plan de la fidélité, je dirais que Gérard Fromanger a été cohérent.
 
Le vrai problème est celui de son art. Il appartient au mouvement de la Figuration Narrative aux côtés d’artistes tels Monory, Rancillac…
 
Au-delà des déclarations d’intention qui figurent sur les murs de l’exposition Fromanger, qui se produit actuellement au Centre Georges Pompidou, il s’agit essentiellement de photos sur lesquelles le peintre déploie de la peinture.
 
C’est en fait un décalque de notre société, la mise en valeur de ses thèmes les plus voyants comme autant de codes.
 
Il existe un jeu de contrastes entre les couleurs très vives et très plaisantes et les événements évoqués qui sont tragiques (assassinat de Pierre Overney) ainsi que la modestie des lieux (une rue de traverse).
 
Cela sans doute est très coloré et plaisant. Il s’agit néanmoins d’un simulacre. Il n’y a toujours pas de Réalité.
 
Tel est d’ailleurs le drame de l’art contemporain. Il a perdu le contact avec celle-ci. Il a perdu le contact avec l’Etre.
 
Cette forme s’inscrit dans la mouvance du Pop Art américain, il en constitue un remake.
 
Cette exposition est gaie, « elle en met plein la vue » mais il s’agit davantage d’un divertissement que d’une véritable mise en cause d’une société ou simplement d’une Création.
 
Prétendre apporter au problème de l’aliénation du Marché une réponse de cet ordre est assez léger. En fait cette exposition reproduit ce qu’elle prétend interpeler.
 
Pour qu’il y ait rupture authentique à l’intérieur de l’aliénation, il faut une reprise en compte de l’homme au plus profond de lui-même, non pas dans une opération de séduction mais dans la quête d’une vérité.
 
On se met à penser à Boltanski, au Grand Palais, ou à Kieffer qui annoncent d’authentiques propositions dans le domaine de l’art, ou à Velikovic.
 
Fromanger s’est entouré d’intellectuels, tels Gilles Deleuze ou Michel Foucault. Cela fait mode. Cependant Deleuze, dans l’ « Anti-Œdipe », un livre intéressant, fait l’éloge de la toute-puissance du désir comme l’ont fait avant lui Spinoza ou Nietzsche, mais moins génialement.
 
On a eu l’occasion constater historiquement ce que la toute-puissance de celui-ci a donné lorsqu’il s’est séparé de la Loi.
 
Quant à Foucault, l’homme des marges, son adhésion au Sacré à la mode iranienne, ne peut être en relation avec une pensée très authentique. Il ne suffit pas par ailleurs lorsque l’on est professeur au Collège de France de se rendre dans les prisons pour restituer à l’individu sa dignité.
 
Il faut lui proposer un authentique projet d’existence.
 
Il s’agirait sans doute aujourd’hui, contre ces penseurs de la sérialité, de reconstruire un monde plutôt que de « déconstruire » une civilisation.
 
Il parait que François Hollande et le gratin du socialisme se sont rendus à l’inauguration de l’exposition Fromanger au Centre Georges Pompidou.
 
Si les couleurs que le peintre met en avant ont pu dérider François Hollande, d’une certaine manière le pari de Fromanger serait gagné.
 
En fait comme le dit la presse, Fromanger, ce vieux « loup de la gauche », n’a présenté au public qu’un aimable divertissement.
 
Alain Jouffroy, le critique et ami de Gérard Fromanger, décédé quelque temps avant l’exposition avait défini l’ensemble des artistes de la Figuration Narrative comme les « Prévoyants ».
 
Je crains au contraire que ces artistes, comme l’ensemble de la gauche, aient dénoncé, mais n’aient rien prévu.
 
Mai 68 dont Gérard Fromanger se réclame aurait pu apporter à celle-ci un élan poétique primordial.
 
Elle ne l’a pas compris et au contraire l’a conduit vers l’aplatissement, la bureaucratie et la médiocrité.
 
L’élan de Mai qui était avant tout celui du Sacré, elle l’a annihilé ou tout simplement ignoré.
 
Aucun artiste ne représente authentiquement aujourd’hui cet espoir, ni cet élan.
 
Gérard Fromanger donne, à cette exigence du Sacré et de l’absolu, une réponse aimable qui ne possède pas de véritable originalité et surtout aucun critère d’une authentique création.
 

L’échec de la gauche sera aussi celle de son art.
 
Edouard VALDMAN
Ecrivain


Dernier livre paru « Demain, l’Occident ! », L’Harmattan, 2015

lundi 22 février 2016

ADIEU MILLEPIED

Le 12 février dernier, au sortir de la première partie du spectacle mis en scène à l’Opéra de Paris, sous l’autorité de Benjamin Millepied, directeur de la danse, sur le point de quitter ses fonctions après un an d’exercice, des spectateurs criaient au scandale.
 

Celui-ci, me semble-t-il, ne résidait pas dans le fait d’avoir introduit dans un spectacle de ballets à l’Opéra de Paris une première partie que l’on pourrait appeler sociologique ou populaire, mais dans celui d’avoir annoncé dans le même programme et d’avoir placé sur le même plan cette mise en bouche assez indigeste, que le ballet par ailleurs sublime du grand chorégraphe qu’est Jérôme Robbins, avec en plus cette précision que Bel, le chorégraphe incriminé serait un artiste incontournable de la scène internationale de la danse.
 

En fait ce hors-d’œuvre peut paraître sympathique à certains. Il flatte la bonne conscience de ce qu’on appelle en général, à tort ou à raison, les bien-pensants. Il est surtout indigeste.
 

Quant au ballet de Benjamin Millepied qui suit cette introduction, il laisse sur sa faim. En effet, construit à partir d’une musique de Beethoven, il faut en convenir, il s’en sert davantage qu’il ne la sert.
 

Pour élaborer une chorégraphie à partir d’une telle musique, il convient de créer un chef-d’œuvre comme l’a fait Robbins de son côté, à partir des variations Golberg de Jean Sébastien Bach. En tout cas il faut que cette création vienne du cœur, de la sensibilité la plus profonde. Benjamin Millepied élabore un exercice de style plaisant, talentueux qui à aucun moment néanmoins ne saisit véritablement le spectateur.
 

En fait la troisième partie du spectacle, c’est-à-dire le ballet de Jérôme Robbins, eut été suffisante. Il est d’ailleurs très long et constitue un véritable chef-d’œuvre. Il représente l’un des morceaux les plus choisis de la danse du XXème siècle. On voit ici comment Robbins s’est mis au service de Bach. Il n’est pas un exercice sur la musique de Jean Sébastien Bach. Il est Bach lui-même. Il fait corps avec son œuvre.
 

Chez Robbins tout vient de l’intérieur, du cœur et de la sensibilité. Ce ballet est absolument exact. Il n’est pas mental. Il se met totalement au service de la musique.
 

Je n’apprécie pas la danse lorsqu’elle est trop excessivement  tributaire de celle-ci. Je la préfère quand elle a trouvé son langage propre, lorsqu’elle est autonome.
 

Si elle s’élabore à partir de la musique, il faut qu’elle soit exceptionnelle, pleine de fulgurances, d’extases, qu’elle soit totalement habitée.
 

En fait ce ballet de Robbins non seulement constitue le spectacle mais il rend les deux premières parties inutiles. Elles n’amènent pas grand-chose.
 

Mais plus loin, le départ de Benjamin Millepied, après un an d’exercice en tant que directeur de la danse à l’Opéra de Paris pose en fait un problème vaste et délicat : celui du rapport différent que la France et les Etats-Unis entretiennent avec la culture.
 

Les américains ont une conception beaucoup plus large et tolérante quant à celle-ci que les français. Ils sont fédéralistes, favorables à la diversité et s’ébattent sur un continent. Ils donnent à voir le pire et le meilleur. Ceci repose sur une foi puritaine, optimiste : « le meilleur finit toujours par gagner ».
 

Etant donné l’immensité du territoire et leur besoin en travailleurs, ils ont été contraints d’intégrer les différences. C’est ce qui constitue pour eux un danger très actuel mais aussi une grande richesse.
 

La France est un pays beaucoup plus absolutiste. De la Monarchie de Louis XIV au règne de Napoléon il n’y a qu’un pas qui a été franchi tragiquement par la Révolution. Les structures n’ont pas évolué.
 

Nous en sommes toujours là. Malgré ce qui est dit par ailleurs, nous sommes une nation religieuse, Pascalienne. Nous sommes davantage le pays de Rousseau que celui de Voltaire.
 

En fait il convient de faire se déployer ces deux cultures l’une à côté de l’autre. Il ne faut pas que l’une prenne le pas sur l’autre.
 

Par contre leur coexistence est indispensable. Il s’agit de la survie de la civilisation occidentale.
 

Plus loin encore on peut se demander si Benjamin Millepied, après avoir introduit ses chorégraphies à l’Opéra de Paris et avoir programmé la prochaine saison, n’a pas jugé son intervention suffisante. Sans doute sa vocation n’était-elle pas de gérer un grand établissement comme l’Opéra, machine très complexe, qui entraine de nombreuses servitudes.
 

Si l’on en juge, d’après sa carrière foudroyante, Benjamin Millepied serait plutôt un aventurier de la culture qu’un créateur au sens conventionnel du terme.
 

Il est toujours difficile à un artiste de se transformer en gestionnaire même s’il est très ambitieux et ceci sur un temps long.
 

En fait Benjamin Millepied a réussi son challenge.
 

Nous avons été pris un moment en otage. Il nous libère.
 

Edouard VALDMAN

Auteur

« Idéalisme français, pragmatisme américain : une nécessaire union », L’Harmattan, 2010